mardi 27 novembre 2012

Paratopie, ou trouver son lieu

C'est le soir que j'écris. Dans le silence, quand fiston dort. J'invente la vie, pas la mienne. La mienne je la vis au quotidien, des travaux à remettre, des examens à préparer, des soupers à concocter. J'écris peu. Ça explique les silences. Entre deux choses à dire, je dors, parce que je préfère l'émotion aux mots. Les mots ne sont que l'extension. L'émotion est le feu qui glace mon coeur. Alors je syllabe, tranquillement, je jette le feu dans la poudre et de l’exposition naît l'idée. L'écrivain n'est pas seul. S'il cherche dans les autres le moyen de définir sa voix, s'il aime dans les autres tout ce qu'il cherche, l'écrivain est une éponge. Son lieu c'est vous. Sa paratopie ce sont vos peurs, vos angoisses, vos paix. Le lieu n'existe pas, il faut l'inventer.

samedi 24 novembre 2012

Le visage

Nous avons reçu l’appel vers la fin de l’après-midi. Ma mère faisait à souper. J’étais dans ma chambre. Je dessinais. C’était un visage de vieille femme. Je me rappelle exactement les rides que je lui traçais sur le front. C’étaient des vagues, des dizaines de vagues. Celles que trace le froncement des sourcils d’un regard sévère. Je pensais à ma grand-mère. Sa force de caractère et je traçais des vagues, parce qu’elle me manquait. Ma mère a crié très fort pour que mon père accoure très vite. Elle a dit je ne comprends pas. Elle pleurait. Mon père a pris le combiné. Il a écouté. Il a regardé ma mère. Il a dit, à elle ou à l’autre au bout du fil on y va. Mon petit frère jouait dehors. Moi j’étais descendu, parce que tout ça m’avait alarmée. Elle avait dit tu viens. Pas comme une question, un ordre. Et parce qu’elle pleurait, parce que de la voir vu pleurer si rarement depuis mon enfance, ça me déracinait complètement, j’avais mis mes sandales et je suis entrée dans la voiture en silence, les larmes aux yeux et le cœur fou. Mon petit frère voulait savoir pourquoi il devait absolument nous suivre. Personne ne voulait parler et elle pleurait. Mon père fronçait les sourcils. Peu importe ce qu’il s’était passé, je ne voulais pas savoir. Je suis une lâche, jamais eu de courage face au drame. Quand la vie te berce, tu ne penses pas que les bras fatigués puissent te laisser tomber sur le sol. Quand elle est douce, on ne veut pas d’un goût amer dans la bouche. Alors je pensais à autre chose. Au dessin inachevé, au regard de ma grand-mère, à sa manière de coudre tranquillement et à son pain chaud qui cuisait, il me semble, tout le jour. À son absence, et ma pensée directement renvoyée au moment présent. À l’hôpital. C’était laid. Je n’ai pas voulu suivre ma famille, je suis sortie dès que j’ai franchis la porte. Je me suis allumé une cigarette. Assise sur le banc situé dans le demi-cercle de débarcadère. Tandis que j’observais ma cigarette trembler entre mes doigts, je m’efforçais de tout mon être de ne penser à rien. Mon père est venu me voir. Il m’a dit viens voir ton frère. Et je l’ai suivi. En silence. Il était couché sur un lit blanc, derrière des portes vitrées. Mon cœur s’est cramponné à ma chair. À peine l’aurais-je reconnu. Sa mâchoire défaite, des cicatrices fraîches sur tout le visage, des bleus mauves sur les pommettes, les yeux fermés et un énorme tube dans la bouche. Mes yeux pleuraient des larmes de stupeur. Sous les draps blancs, on devinait la douleur d’un corps qui se tord, d’un cerveau qui ne saisit pas. Je suis entrée dans la chambre. Il n’y avait que moi et lui. Je n’entendais ni les sanglots de ma mère, ni les toussotements de mon père, ni le ronronnement des machines à oxygène. Le silence était parfait. Avait-il été déjà aussi parfait? Je me suis approchée de lui. Et comme il ne réagissait ni à ma stupeur ni à mes mots inaudibles, je lui ai pris la main. Il était chaud. Il vivait. Il vivait encore et je lui prenais la main, pour qu’il retienne de ma peau la force. Dans la chambre beige. Mon grand frère, mon ami, mon protecteur et par-dessus tout, une partie de moi. Très vite, des dizaines de personnes sont venues. Les tantes, les oncles, les cousins, les cousines, ils entraient par petits groupes. Je leur en voulais de ne pas entendre notre silence. De ne pas comprendre que ce silence valait mieux que toutes les questions du monde. La chambre était pleine. Ma main dans la sienne. Je ne lui ai jamais lâché la main. Je te le jure. Mon père a touché mon épaule. Très doucement. Et je me suis jetée dans ses bras. Il m’a dit pleure ma fille, pleure ma fille. Il m’a amené derrière les portes vitrées. Il m’a dit que les médecins ne pouvaient rien faire. Ils appellent ça une mort cérébrale. Je voyais dans ses yeux une immense colère et je sentais tous ses muscles se tendre, mais il ne voulait pas que je le vois. Tous ces muscles se fendre, pour être capable de m’expliquer doucement ce que lui-même il ne comprenait pas. Le couloir était plein. De visages inquiets, de regards qui quémandent. J’ai su que j’avais le choix. De rester dans ce couloir, entourée de larmes et de bras. Ou de partir, te rejoindre toi. Je te trouverais, et ensemble on écouterait le silence. J’ai dit à mon père je ne comprends pas. Et je suis partie. C’est cette nuit-là, quand je te cherchais partout. Que j’étais allé cogner à ta porte. Chez tes amis, chez tes frères. Chez tes voisines. Partout. Une ombre qui cherche son corps. Les yeux bouffis. Les yeux rouges. Cette nuit-là, alors que je ne te trouvais nulle part, il est mort. Sans moi. Sans ma main dans la sienne. Sans toi avec moi, pour lui tenir la main. Sans aucune chance. À 17 ans. Comme si c’était possible. Cette nuit-là, j’ai pleuré ma vie, j’ai pleuré sans arrêter, j’ai pleuré jusqu’à ce que ma gorge craque et mes yeux se ferment. Où étais-tu mon amie?

L'amant

Dès le départ, je savais qu'il ne serait qu'un amant. Rien de plus. Je savais que nous ne ferions pas l'épicerie ensemble, que nous n'habiterions pas le même appartement, que nous ne fêterions pas Noël en amoureux, que nous n'aurions pas d'enfant avec ses yeux et ma bouche. Ça je savais. Il était beau et grand, avec des grains de beauté sur le corps. Il était l'homme le plus épicurien que je n'avais jamais rencontré. Il voulait tout goûter, tout boire, se soûler jusqu'à l'aurore et recommencer. Et faire l'amour, et rire très fort, et voir ses amis, et fumer des joints, et s'extasier, et parler sans arrêt et dormir sans jamais se faire réveiller. Je ne lui ai jamais avoué, mais dans le secret je l'enviais. Je voulais sa liberté. Je désirais sa folie. Je l'invitais à dormir et ma tête posée sur son torse, je respirais doucement. Un bébé chat qui lèche le silence. La première fois qu'il m'a dit qu'il m'aimait, il l'a chuchoté tout près de mon oreille. Je mentirais si je disais qu'il n'avait pas été sincère. Surtout maintenant, ce serait malhonnête. Mais par la suite, il m'est arrivé de douter de son amour pour moi. Nous aurions pu continuer ainsi quelques temps. À se voir de manière elliptique. À s'aimer sans jamais rien concéder. À se mentir en croyant que tout cela était suffisant. Un matin il est parti. Nous nous étions disputé une fois de plus. Moi parce que je ne voulais pas qu'il parte chez ses parents pour la fin de semaine, ce qu'il faisait régulièrement, lui pour sa liberté. Il n'a pas rappelé, ni le lendemain, ni jusqu'à présent. Il n'est plus mon amant. Je ne sais pas si un jour il reviendra, quand il aura tout goûté, tout bu. Quand il voudra un endroit chaud pour dormir la nuit et boire un café tôt le matin. Quand entre deux excitations, il prendra le temps de respirer. Et là, dans le lit vide, je ne peux n'en vouloir qu'à moi-même, parce que je savais dès le départ.

samedi 20 octobre 2012

Speed dating littéraire

L’idée m’a plu. Rencontrer de parfaits inconnus, leur raconter Kuessipan, mon livre, et échanger sur la probabilité de la lecture future. Ça me semblait simple, concret. Tenter de charmer les lecteurs, un par un. Le premier, il était roux, une cinquantaine d’années. J’ai déblatéré, sur ma vie, mon regard, le « à toi » et la méconnaissance des miens. Inconsciente qu’il voulait peut-être discuter. Le temps de prendre une gorgée d’eau, il a tenté une question et la clochette a sonné. Le second était jeune, un Belge. J’ai compris qu’il fallait peut-être que je parte de la base. Qui sommes-nous. La nation Innue, les premiers peuples. Le regard de l’autre. La peur d’être distinct. Le ravissement de l’être. Cinq minutes pour expliquer l’Histoire de l’Amérique. C’était de l’acharnement. J’ai dis bonne soirée. La suivante, une femme intéressée, qui avait suivi la route 138, jusqu’à l’embouchure, jusqu’à la mer. Elle avait écrit un livre qui se passait sur la Côte. Elle m’a dit le titre, puis qu’elle n’était pas venue pour parler de son livre, mais m’entendre parler du mien. J’ai déblatéré. Encore. Clochette. Dans l’espace de deux heures, j’ai rencontré 34 supposés lecteurs. Pas nécessairement les miens. Ceux des autres sans doute, intrigués et intéressés. Dans l’espace de deux heures, j’ai eu l’impression de n’avoir rien dit. Ni sur la façade, ni sur ce qui m’importe, ces temps-ci. L’Histoire réelle. J’ai fait une caricature, même si je préfère peindre des murailles, même incomplètes, même partielles. J’ai posé des questions qui me semblaient normales : connaissez-vous les Innus? Puis devant les réponses pitoyables, j’ai fait semblant de rien. Ce soir, pour la première fois de ma vie, j’aurais voulu avoir écrit un livre sur l’adolescence désastreuse lorsqu’on a des boutons. En cinq minutes, j’aurais été capable d’expliquer ça.

samedi 13 octobre 2012

Chercher le temps

C'est en octobre que le temps nous échappe. Après avoir couru tout septembre, tout l'été, depuis avril, le temps fouette et nous rappelle la fin des choses. Je me souviens m'être baignée en juillet avec mon fils, à l'embouchure de la rivière moisie, marée basse et marée haute. Dans le courant fort de l'eau, on pataugeait. Je me souviens très clairement sa peau contre la mienne, parce qu'à l'embouchure, c'est presque la mer, et la mer au Nord c'est pas comme la mer au Sud. J'ai eu l'impression d'être comme ma mère, quand elle finissait pas céder, qu'elle enlevait son chandail, qu'elle gardait ses shorts, qu'elle se baignait avec nous, nous collés sur sa peau. Je me souviens d'un feu, derrière la maison de ma tante. Avec des amis de passage. Boire quelques bières, et se raconter que l'été était chaud, que l'air était bon, et qu'on espérait, chacun sans savoir comment, que nos vies se croisent, une autre fois. Je me souviens de cette idée assez absurde de faire de Kuessipan un film. Myriam, qui était venue jusqu'à Uashat, allée jusqu'à Mingan, pour voir l'innu-assi, pour parler avec les jeunes et moins jeunes des réserves. Je lui avais dit que rien n'était simple, que le plus simple était de ne porter aucun jugement. Et comme moi, lorsque je retourne chez-moi, elle avait remarqué la beauté, la fierté et le vrai. Alors, nous avons créé cette histoire, ce drame plein d'espoir. Nous avons cru que ça valait le coup. Tout juillet à inventer des vies, dans nos têtes, avec nos voix, sans presque rien écrire, tant l'histoire nous habitait. Je me suis dis qu'elle avait compris. Je me souviens de cette journée, où il fallait brusquement repartir. Retourner chez-moi, même si le concept de maison reste abstrait dans ma tête. Mon petit appartement qui m'attendait en désordre et la musique de la discothèque d'à-côté qui me réveillait en pleine nuit. Puis l'université, puis les travaux à remettre, puis les examens. C'est en octobre que le temps m'a échappé. Comme une marée trop haute. À contre-jour. Crédit photo Myriam Verrault.

jeudi 27 septembre 2012

Le nouveau continent

Il y a eu le rêve, de traverser l’Atlantique, d’atterrir sur un nouveau continent, de devenir soi-même explorateur. Le rêve de s’émerveiller, de se soustraire aux habitudes, de goûter de nouvelles arômes, d’entendre de nouveaux accents. Il y a eu les craintes. Celles d’être égarée, de ne rien savoir, rien connaître, de paraître innocente. Les craintes de tout perdre, d’être pillée, de se retrouver complètement nue, dans un pays ancien, se trouver vide devant la beauté d’un peuple ancien. L’excitation, l’anxiété, l’excitation. À midi l’avion a atterri, à l’heure prévue. L. et moi, encore un peu bourrés aux somnifères, le regard vitreux, quelqu’une nous attendait, gaiement. Ils sont gaies les Français, lorsqu’ils voient venir un étranger, une étrangère, de passage. Il faisait nuageux, c’était en banlieue de Paris. Par la suite, plus jamais il m’a semblé que le ciel était gris. J’ai connu Paris. La ville belle et vieille. Les édifices, les monuments, l’architecture, le marbre et l’Histoire d’une nation. Les gens assis sur des terrasses, tout le jour, toute la nuit. La tour, belle comme on se l’imagine, réelle, lorsqu’on admire la ville des quatre coins cardinaux. Le vin en pichet et le déjeuner et le diner à neuf le soir, dans des brasseries que nous ailleurs on appelle des bars. J’ai aimé Paris. Les serveurs étaient gentils, prêts à répondre à nos interrogations de touristes mal préparés. La folie des grandes villes, moins perceptible que ce à quoi je m’attendais, même si dans chaque racoin du métro il y a l’avertissement formel de faire attention aux pickpockets. On se promenait, sans but précis, souvent sans attente, puis on se retrouvait devant ces monuments que l’Histoire raconte. Même si pour moi, chaque maison, chaque édifice, dans leur ancienneté, me racontaient le passé. Je n’ai pas encore compris Paris. Entrer dans un palais, et tenter de croire qu’un seul homme y était maître, qu’un seul homme appréciait une telle grandeur, une telle richesse. Dans ma tête, chaque maison était un palais, chaque monument méritait la contemplation. Gavée de tant d’architectures anciennes, il m’est arrivé de ne pas comprendre un pays aussi riche, un pays insatisfait. L. était mon guide, mon compagnon, l’homme qui sait où il va. Moi je le suivais, et partout il m’amenait, et partout il m’embrassait. Nous étions deux. Explorateurs. Comme il y a très longtemps, les Européens venus de loin, ont mis le pied sur l’Amérique. Le thème du festival America, auquel j’étais conviée, était les Premiers Peuples. J’étais à Paris. J’étais seule représentante de ma nation, Innu. J’étais loin de mon village. J’étais fascinée par la beauté des choses qui m’entouraient. J’étais brusquée par l’image que les Français avaient de nos nations. Des images de plumes et de mocassins, de misère et de défaite. J’étais inquiète et nerveuse et frilleuse. Alors j’ai raconté nos vies, dans Innu-assi, les réserves. J’ai raconté la proximité des gens, les valeurs de nos grands-mères, la résilience après des tentatives d’assimilation, le peuple qui survit, qui vit, l’éclat de nos enfants, je leur ai dit que nous faisions les plus adorables bébés du monde, notre avenir. J’ai tenté qu’ils me comprennent. J’ai voulu qu’ils sachent, que nous étions un peuple distinct, ni Québécois, ni Canadien, mais Innu. Avec une Histoire, avec une culture, avec une langue, avec dans nos idéaux, un rêve, celui de plus être mis à part, celui de faire parti de l’Histoire. Ce que je comprends, ce que j’ai entendu, lorsque Thomas King et Louise Erdrich, deux auteurs issus des Premières Nations des États-Unis ont relaté, c’est que nous sommes isolés de l’Histoire, alors que cette Histoire, ces nations, que sont les Amériques, n’auraient jamais pu voir le jour, si au départ, les premiers habitants, les autochtones, n’avaient pas tendu la main, n’avaient pas été savants, n’avaient pas cohabités avec ces étrangers venus de loin. À Paris j’étais étrangère et fascinée. Je retourne chez-moi, fière et avec une meilleure compréhension des Amériques, ou de moi-même. Merci

mardi 14 août 2012

Netein, mon coeur

On ne peut demander au cœur d’être autre chose que le cœur. Ce battement, ce rythme, cette pulsation qui fait monter le sang dans tout le corps. Le cœur, ce muscle, est l’os des jambes, des bras, des épaules, des yeux, de l’âme. Ce cœur qui bat, ce choc dans les tempes, et les joues qui se colorent, et les membres qui flétrissent, toute l’ébahitude d’un corps qui se croit fort. D’une pensée plus indépendante, plus rationnelle, se voit anéantir à cause de ce cœur, muscle puissant qui sait ce que l’homme subit, lorsqu’il rencontre un cœur qui lui ressemble.

lundi 13 août 2012

Entre peuples fondateurs

La ligne est si fine et la crevasse immense, entre nos peuples. Autochtones et colonisateurs. La brisure est historique. Depuis, perdure l'incompréhension et le rejet de l'autre. Si nous avions vu nos ancêtres, les regarder se serrer la main, sans malice. S'ils nous avaient raconté comment l'étranger dans son savoir lui avait rendu la vie plus facile. Si nous avions vu la femme Innue s'éprendre d'un Français nouvellement arrivé, nous serions capable d'imaginer un Québec avec deux peuples fondateurs. Parce que le pays est vaste et riche. Parce que nous habitons ensemble ce territoire. Et longtemps nous avons cru que rester à l'écart était une solution correcte et juste. Mais il faut rêver autrement. Les savoirs du passé ne sont pas morts. La terre nous en veut de ne pas lui donner toute sa valeur. Puis, l'exploitation de ces étendues d'eau et de forêts est nécessaire, pourquoi ne pas s'unir et le faire droitement. Sans prôner l'économie avant l'écologie. Sans détruire nos espaces communs. Pourquoi ne pas créer un précédant où les peuples autochtones et le peuple colonisateur construirait ensemble un nouveau pays, dans lequel la voix de l'un et de l'autre dialogueraient sans cesse afin de vivre pleinement et richement, sans se nuire. C'est une idée, inspiré d'un discours de Stuart Myiow Jr. Mohawk de Kahnawake. C'est une idée à laquelle j'adhère. C'est une bouée dans un océan de pensées. Et pourtant novatrice et possible. Je voterais oui pour un pays comme ça. Vidéo du discours Stuart Myiow Jr.

lundi 23 juillet 2012

Ravagé

Ne désirer qu’une chose, l’amour. La douce tendresse de quelqu’un qui saurait l’imperfection, les erreurs et l’idiotie. Qui saurait donner, caresser la main tendue. Un baiser qui guérit l’écorchure. Qui calme la douleur. Qui apaise, l’espace d’un instant ou d’une vie. La justesse du ton, celui qui comprendra sans juger. Qui saura que la peine est immense, le cœur vide, l’enfance blessée. Avoir tant à demander mais ne désirer que cela. Même l’amour instable, fatigué, maladroit. Même des poussières, même ravagé. Parce que la nuit est noire, noire. Et qu’à force de s’y perdre naît l’envie de ne plus être. Au bout de son propre souffle et quémander l’amour des yeux, de la bouche, des larmes, des mains, de la peau, des plis de la peau. Savoir que mourir demain est possible, mais garder l’espoir d’être aimé, avant.

lundi 16 juillet 2012

Innu-assi

Bien sûr, nous sommes différents. Nous parlons une langue différente, bifurquons quelques fois vers la vôtre, pour mieux nommer la modernité, l’espace numérique nouvellement créé. Nous habitons des villages que d’autres appellent réserves, mais si vous saviez la langue, vous comprendriez que nous habitons le territoire. Bien sûr, nos maisons sont faites de bois, de ciment enfoui dans la terre. Nos maisons n’ont pas de briques. Nos clôtures ne sont jamais assez tenaces pour ceux qui connaissent la distance. Nos foyers jamais assez chauds, pour ceux qui se nourrissent d’accolades. La proximité c’est ce qui nous a nourris, élevés, faits devenir hommes et femmes. Nous sommes habitants du Nord, nous vivions sous des tentes. Bien sûr les yeux des enfants brillent comme partout ailleurs, s’illuminent devant le plaisir flagrant d’une crème molle ou d’un après-midi près de l’eau. Et ces enfants grandissent, et bien sûr, confrontés aux réalités d’adultes, cherchent leur chemin, eux aussi. S’égarent. Et se retrouvent, eux aussi. Bien sûr, nous vivons sur le sable. Près de l’eau et des lacs. Nous baignons nos corps assoiffés, un mois l’an, quand le soleil nous offre sa chaleur. Et ce lointain que nous observons, nous offre un infini, un rêve. Bien sûr, les femmes crient après leur homme, les punissent d’infidélité. Puis elles pardonnent au père de leurs enfants. Bien sûr nous aimons la bière et le vin, l’ivresse tranquille et la musique douce. Les soirées qui s’éternisent, dans lesquelles on danse toute la nuit. Bien sûr, on meurt et on naît. On se lamente et on prie. On se marie pour la vie. On aime et on jure. On espère. On rêve. Bien sûr, nous sommes différents.

dimanche 15 juillet 2012

Vieille

Elle regarde passer les jours. Certains observent les étoiles la nuit, d’autres assis devant leur maison regardent passer la vie. Ils ont le droit et parce qu’ils le prennent, le droit, ils se retrouvent près de la barrière invisible. Ça s’appelle l’ennui. Dans ses yeux tout noirs, plus profond qu’un cercle d’eau sur une mare, les gens, quand ils la regardent, et qu’elle leur fait signe assise sur sa chaise en bois, ils voient la distance. Elle les embrasse lorsqu’ils s’approchent d’elle, parce qu’ils l’appellent Tshukuminu, quand ils lui parlent. Des cheveux à peine gris et de la lourdeur sur les hanches. Des gestes lents. Des plis sur les mains. De l’ennui, à peine caché dans les yeux. Certainement, il y a un moment où le passé est plus fort que demain. Où elle se retrouve complètement nue, dans un monde qui ne lui appartient plus. Parce que les enfants de ses petits-enfants arrivent en courant, quêtant un dollar ou deux. Les endroits qui étaient siens, à force de les habiter, sans contrat d’achat, sans avoir eu à payer. Le coin de la rue, où elle avait bâti un foyer sûr et chaud. La poussière, toute cette poussière sur les murs. Toute cette poussière qu’elle avait respirée. Et le sable qu’elle avait balayé. Des années entières. Pour être prête quand le train arriverait, qu’elle le verrait descendre avec son sac sur le dos. Qu’elle verrait son sourire. Qu’il l’a prendrait dans ses bras. L’éternité parfois c’est quelques mois. Elle n'aurait jamais voulu qu'il parte avant lui. Se réveiller un matin, et prendre conscience qu'il l'avait laissée, pour jamais. Elle n'avait jamais vécu autre choses que l'attente et le retour. Les sentiments opaques de bonheur et de tristesse. Elle reste assise, longtemps sur sa galerie. Semble absente, dans un ailleurs où elle pleure sans gêne. Les gens commencent à murmurer. La sénilité ou l’oubli. Elle s’éloigne chaque matin. Moi, moi je sais que c’est l’ennui.

lundi 25 juin 2012

La couleur de tes yeux

L’amour est le plus doux remède à l’amour. Je me suis endormie à tes côtés, des centaines de fois, pour ne pas compter les jours où nous étions séparés. De jeunes amants, dans la vingtaine, qui cherchaient non plus l’amour, puisque nous l’avions trouvé à la dérobée dans les baisers de l’autre, mais un endroit chaud et réconfortant pour fermer les yeux la nuit, un endroit qui nous ressemblait. Tu avais des yeux bleus. Des yeux clairs. Des yeux qui rougissaient parfois lorsque la peur te prenait, quand tu m’observais, que tu savais exactement mes pensées, ceux que mes yeux à moi ne pouvaient cacher. Je suis brune, de toute ma personne, mes mains et mes cheveux, mes yeux, deux billes noires, rondes, émotives, qui roulent pour ne pas pleurer. Nous nous sommes connus, dans une ville qui n’était ni la tienne, ni la mienne. Étudiants, avec l’avenir chargé de rêves. Des chemins déterminés, confiants. Passifs devant ce que nous semblaient ne durer qu’un temps. Me réveiller à tes côtés le premier matin, te toucher comme si c’était la dernière fois. Ton sourire timide et tes yeux. Tes yeux parfaits. Le temps c’était toi et moi. Allongés sur le gazon, sur le bord d’un lac. Nous faisions l’amour, nos corps réunis ne pouvaient se trouver ailleurs qu’à ce lieu précis, enlacés dans l’autre. Le temps c’était de courts escapades à Montréal, pour te voir, pour t’écouter rire et chanter, pour ne pas partir. Le temps c’était le cadeau qu’on s’offrait, entre deux cours à finir, des spectacles à faire et de la bière. Le temps c’est toujours ce qu’il nous manquait. Pour ne pas avoir à se dire au revoir, pour rester infiniment, se regarder infiniment. Nos rêves nous amenaient là où précisément nous voulions être, là où nous ne voulions rien céder et tout s’offrir, à soi. C’était des espoirs qui valaient le coup qu’on s’y attache, qu’on s’y agrippe, que jamais on ne baisse les bras. Nous étions entêtés, et je l’ai été, jusqu’à vouloir fuir et oublier. Nos rêves ont toujours été plus forts que le temps. Puis, il y a eu ces lendemains amers, des gorges sèches et l’amnésie involontaire. Ces matins qui s’accumulaient, les cheveux en bataille, les yeux endormis. Des roses cassées et la distance entre tes yeux et les miens. Il y a eu, la peur. La peur toute simple et réaliste que nous n’étions pas les bons. L’envie soudaine de fuir. De partir au loin, près d’une mer qui ne l’est pas, dans un village qui ne l’est pas. Et ne pas regarder derrière et chercher ailleurs, le temps. On m’a dit que c’est l’amour qui guérit de l’amour. Depuis, je cherche des yeux bleus.

mercredi 18 avril 2012

Ce soir-là

C’est ce soir-là, derrière une maison blanche, un peu vieille, un peu comme on en voit partout dans les réserves, assise sur une planche en bois que des hommes avaient posée sur des buches. C’est ce soir-là, encore complètement à jeun, assise là, avec ma sœur plus vieille, un peu excitée, par la nouveauté de cet instant jamais vécu, un peu nerveuse. Je parlais à mon oncle, mon oncle aux cheveux long tressés, qui adore parler politique, mais qui comme tout le monde, a d’autres soucis, sa femme et ses enfants, son travail d’intervenant, l’argent, des soucis comme partout ailleurs. J’ai toujours été attachée à cet oncle, le frère de ma mère, parce qu’il parle bas, regarde ailleurs lorsqu’il s’adresse à toi et c’est un artiste, mon oncle. Il sculpte le bois. Il taille des visages, celui de mon grand-père, des visages facilement reconnaissables pour ceux qui ont connu le modèle original. Il fabrique des tambours, et il grave des vagues, des figures d’animaux sur le cercle de bois. Il est artiste, parce qu’il fabrique tout en sachant que chacune de ses œuvres est unique. J’ai voulu un été, aller dans une boutique du Vieux-Québec, proposer ses sculptures aux marchands. Je leur aurais dit : une vrai sculpture d’indien, rien à voir avec les ours de la Chine, une vraie que vous pourrez vendre à un touriste riche, qui sans rien savoir de la valeur sentimentale, l’achètera, parce qu’un vrai indien l’aura fait. J’imaginais le visage sculpté de mon grand-père dans une maison d’une famille prospère à Paris, ça me faisait sourire. Je l’aime, mon oncle, parce qu’il artiste et parce qu’il parle bas. Je déteste les voix criardes, les gens pressés, qui rient et parlent fort. J’aime le calme, même dans une ville, même dans une rue très passante, je ne veux pas courir, je veux marcher et fumer une cigarette. On était assis là, ma sœur, mon oncle, sa femme et moi, sur le banc en bois, je fumais à côté d’un feu qui nous réchauffait. Même en juin, il fait froid là-bas. Je pensais à des choses stupides, l’odeur de la fumée colé à mes vêtements qu’il faudrait nécessairement laver le lendemain. Mon oncle, un autre oncle, le mari d’une de mes tantes, lui il portait des lunettes de soleil même s’il faisait presque noir, il était là, souriant, confiant. Il parlait à beaucoup de gens, mais c’était évident qu’il voulait simplement regarder le feu et attendre en silence. Il s’était présenté comme conseiller, il adorait parler politique, malgré les soucis communs. Lorsqu’il parlait, il constatait les lacunes de sa communauté, proche des gens pauvres et des vieux désabusés, il voulait voir les hommes travailler, parce qu’il savait d’expérience que le travail est la plus méritoire des récompenses. Il était là-bas, et je savais qu’il gagnerait, parce qu’il était lui, un homme avec une seule parole. Les gens en cercle. Je cherchais à reconnaitre le plus de visages possibles. Il y avait des vieux, assis à l’intérieur. Les aînés comme on dit, parce qu’ils ont passé l’âge de veiller dehors, autour d’un feu, et parce que lorsqu’on a une descendance tellement nombreuse, de petits-enfants et de petits-petits enfants, il est nécessaire que leur visage soit éclairés par une lumière plus claire que celui des flammes, pour les reconnaître, pour embrasser leurs joues. J’étais partisane, pour la première fois de ma vie, j’avais voté pour élire un Conseil de bande. J’étais dans un parti, assise avec ma sœur, j’avais pris position le matin même. Je voulais que ma tante soit élue chef. Je voulais que mon oncle, pas l’artiste, le mari de ma tante soit élu conseiller. Je m’étais isolée dans la petite cabine blanche le matin, pour eux, pour moi, parce que j’aimais leurs mots et parce que je leur faisais confiance dans la gouvernance, dans ce Conseil. Ce soir-là, nous étions une centaine derrière une maison blanche. Nerveux. Excités. Nous attendions les résultats de l’élection, la radio communautaire l’annoncerait vers onze heures. J’étais assise à côté de mon oncle artiste et j’avais tellement envie de lui dire que ses œuvres se vendraient cher dans les boutiques du Vieux-Québec, achetés par des vieux riches qui diraient que ceci a été fait par un vrai indien. Mais je n’avais pas le courage. J’avais peur qu’il me trouve idéaliste ou naïve. Je déteste la naïveté, c’est une autre manière de dire stupide. Nous attendions. L’attente était visible sur tous les visages, réunis là. Nous étions une centaine. Puis sont arrivés les résultats. Au départ, il y a eu l’annonce du chef. Pas ma tante. Je l’ai cherché des yeux, mais j’étais si anxieuse pour mon oncle, j’ai continué à écouter. Les conseillers. Un à un. Mon oncle, pas élu. Je l’ai regardé, il était à côté moi, quelques secondes. Nous avions perdu. Les gens se sont dispersés. J’ai embarqué dans une voiture, sachant qu’ailleurs il y avait une fête. J’ai pris une bière. Là-bas, il y avait une immense scène, des groupes de musiques invités, de la bière, plus de cinq cent personnes. J’ai pris une autre bière. Je l’ai bu très vite. Partout, les gens offraient des bières. Ils avaient gagné. Moi, je buvais des bières, j’avais perdu. C’est ce soir-là que j’ai cessé de croire au pouvoir des idées, constatant que la fête la plus grande nécessairement invite le plus d’électeurs. J’ai cessé de croire, naïvement, à la politique.

mercredi 7 mars 2012

Le blocus 138: beau à voir

Je sais, je suis partisane. Mon parti c'est ma communauté. Ce qu'ils revendiquent, je l'appuie. Parce que même si je suis loin, pas debout devant les barricades, je trouve ça beau. Je trouve ça important de voir ces hommes plus ou moins vieux, se tenir droit et dire :Aujourd'hui, vous ne passerez pas sur nos terres.

Il y a eu une première entente avec Hydro-Québec afin que la société d'État puisse construire des pylônes électriques, sur les terres du Nitassinan en lien avec les nouveaux barrages hydroélectriques de la Romaine, une entente qui n'a pas été signée, jugée insuffisante. Il y a eu une deuxième entente, bonifiée comme ils disent. La communauté à voter contre cette entente majoritairement à 59%. Ils ont trouvé que c'était encore trop peu. Pas tous. Mais la majorité. La démocratie parle pour ceux qui prennent les choses à coeur et se lèvent pour signifier leur choix.

Il s’agissait d’une entente de 150 millions de dollars avec des promesses de redevances. J’ai souvent cru que les pauvres étaient faciles à acheter. Je ne me suis jamais aussi bien trompée. Même les pauvres ont leurs convictions.

Ils ont choisi de bloquer la route. Parce que Hydro-Québec ne respecte pas le refus de la communauté et a commencé les travaux sur les terres du Nitassinan.

Aujourd’hui, s’il vous vient l’envie de passer sur la 138, quelques kilomètres après Sept-îles, à l’intersection de Maliotenam, vous verrez des hommes et quelques femmes, une tente, un feu, sur la route. Des pancartes qui vous obligeront à ralentir. Ils vous laisseront passer après vous avoir demandé où vous allez, ce que vous comptez faire. Si vous travaillez pour le gouvernement, vous aurez du mal à continuer votre chemin. Si vous êtes camionneur, ils vous diront qu’il est impossible que vous passiez. Si vous êtes en voyage seul ou en famille, ils vous laisseront continuer.

Revendiquer peut sembler difficile. Voir inopportun. Mais lorsque certains le font, passivement, en créant un certain débrayage, lorsque ceux qui parlent savent exactement l’issue de leur monopolisation. Lorsque rester silencieux devient impossible. Je l’ai dit, c’est beau à voir.

Cadeau de M. Lafferière

Vous connaissez Dany Laferrière, l'écrivain. Il a écrit ceci pour un catalogue. Je vous le partage.

"Mon coup de cœur
C’est toujours émouvant de voir un fleuve à sa source. Le Nil débute comme un ruisseau. Il faut beaucoup d’imagination pour croire que ce filet d’eau tient dans ses bras toute l’Égypte. Il en est de même pour la littérature. On peut choisir de remonter l’interminable fleuve Proust. Ou de traverser à gué le ruisseau Naomi Fontaine. Qui est cette Naomi Fontaine dont le nom se retrouve si près de Proust avec un mince premier roman? Elle a 23 ans, c’est une Innue de Uashat qui vit aujourd’hui à Québec. Elle a publié cette année « Kuessipan » qui fait à peine 111 pages, chez Mémoire d’encrier. Dans ce ruisseau il y a la promesse d’un fleuve. Vigneault dit bien qu’un flocon contient l’hiver. En effet, il s’agit beaucoup d’hiver dans cette réserve d’Uashat où la vie est rude. Les problèmes sont connus : « drogue, inceste, alcool, solitude, suicide, chèque en bois, viol ». L’auteur nous balance tout ça dès la première page, juste avant de nous faire pénétrer dans son univers personnel. Ce n’est pas l’étude sociologique d’un étranger tout plein de compassion. C’est une invitation à une fête étrange : le simple déroulement de la vie quotidienne. La peinture est si directe qu’elle semble naïve jusqu’à ce qu’on comprenne qu’elle suit plutôt la vieille règle classique de la ligne droite. Des observations dures. Des joies violentes. Une nature rêche. Pas d’adjectif. Ni de larmes. C’est le livre d’un archer qui n’a pas besoin de regarder la cible pour l’atteindre en plein cœur. Mon cœur. "
Dany Laferrière

Merci M. Laferrière. Le fleuve se nourrit par petites gouttes. Merci de m'y inviter.

jeudi 19 janvier 2012

violence

elle est brute, elle s'élance, comme une entièreté, comme la démence. elle crie, elle jure, elle n'a pas besoin de faire mal pour faire souffrir. un coup sur le visage. un coup de pied dans le vide. un geste mal articulé qui se veut justicier, même pas un bleu, une égratignure. des pas qui courent. qui cherche la sécurité. les bras de quelqu'un. un téléphone. un cri incohérent. une brisure. un mot. violence.