mardi 29 juin 2010

Et pourtant

Il y a cette histoire qui m’émeut, que mon beau-frère m’a racontée dans le blanc des yeux. Beaucoup plus belle dans la langue Innu, mais pour le plaisir de vos oreilles, je la relate ici en français :

« C’était ma grand-mère, il me dit, elle m’a parlé ainsi, quand j’étais jeune.

-Tout ceci est bien beau mon garçon. L’ère moderne, les édifices plus hauts que le ciel. La facilité, les épiceries et les choses que je ne saurais nommer. Tout ceci est beau. Mais, il arrivera un jour, mon garçon, où tout ceci achèvera, se détruira, s’écroulera. Alors, nous retournerons vers nos coutumes, nos manières de vivre qui semblent bien inutiles aujourd’hui. Nous vivrons dans la forêt. Nous prendrons de nos mains ce que la terre daignera nous offrir.

Ce jour-là, mon garçon, l’homme blanc viendra vers toi, te supplier à genoux de l’aider, et ce jour-là, mon garçon, tu l’aideras. Une fois de plus. »

L'esprit des vieux ne ressemble à rien, ni à la modernité, ni à l'indifférence. Il est immuable comme une empreinte habituée au sol rigide.

lundi 28 juin 2010

Le beau mensonge

J’aimerais être la seule à penser ce que je vais dire tout haut. Mieux, j’aimerais me tromper et devoir faire des excuses, des demandes de pardon, me morfondre et être restreinte à me créer un nouveau blog sous un pseudonyme. Me la fermer à tout jamais avec mon pessimisme.

Hier, je discutais avec un prof dans la quarantaine. Un homme bien pensant, connaisseur, intrigué comme bien d’autres sur notre culture et nos manières de vivre. Pas idiot, mais idéaliste, comme bien d’autres aussi.

« Y a-t-il un moyen de conserver votre culture, tout en vous adaptant à la société. Ne pas construire des bulles. Être fiers de ce que vous êtes»

Il a parlé d’une faculté pour les autochtones à l’intérieur d’une université déjà existante, d’un scoutisme basé sur les connaissances des Premières Nations, d’une réécriture des légendes, d’une formation intensive de la langue écrite et parlée pour pouvoir aussi bien écrire en français qu’en Innu et être capable de parler un langage autre que celle de cuisine, comme il disait . Des idées, comme ça, que j’ai appuyées bien sûr. C’est pas fou. Je serais la première à inscrire fiston dans un programme de scout où il apprendrait à faire des feux à l’ancienne et à monter une tente traditionnelle avec des perches. Je voudrais qu’il existe des cours spécialisé sur ma langue qui m’apprendrait à nommer les jours de la semaine, les mois, les chiffres, les quelques milliers de termes français que je suis incapable de traduire en Innu.

Je n’ai pas pu m’empêcher de répondre tout de même :

« Tout ça c’est bien beau, mais c’est un rêve. De prétendre que la nation Innue est toujours aussi proche et fière de sa culture. Puis la culture, qu’est-ce que c’est? »

On a perdu beaucoup. Plus que ce que l’on veut admettre en tant que peuple. La langue s’affaiblit dans un continuel bilinguisme. Une phrase peut contenir autant de mots français que Innu. Les chasseurs sont peu nombreux, peu adeptes à la transmission. Les jeunes ne veulent plus courir les bois, la paresse a gagné le cœur des hommes ainsi que les crises dû à l’ingestion hebdomadaire de poutine et de Mcdo. L’esprit des gens à changer, s’est perdu, s’est défait petit à petit comme une écharpe de laine quand on tire sur le fil qui dépasse. La laine est devenue un petit tas qui ne se re-tricotera pas d’elle-même.

Vous savez? Je les comprends. Qui voudrait savoir harponner un saumon de nos jours? Le petit gars qui n’a ni canot, ni harpon, ni voiture pour se rendre à la rivière? On va lui demander, à lui, de passer ses jours à apprendre la technique de l’harponnage alors qu’il est incapable de subvenir aux besoins de sa famille et que la seule chose qui l’intéresse ces temps-ci, c’est le jeu en réseaux qu’il réussi si bien après avoir fumé un joint. Ou bien, pourquoi ne pas exiger de la jeune mère de ne parler qu’en Innu à ses quatre enfants, et de consulter son dictionnaire de la langue à toutes les fois où elle ne connaîtra pas la bonne traduction de vaisselle, plancher, piscine?

Peut-être que tout ceci n’est pas une question de culture, mais une question de société. La seule solution que l’on retrouve ces jours-ci face aux maux des réserves c’est le retour aux sources. Mais où sont-elles ces sources? Je ne les vois ni dans ma réserve, ni dans les autres. Je ne vois que la misère et des vieux qui meurent sans n’avoir jamais rien dit de leurs savoirs si précieux. La culture est un privilège pour les mieux nantis. Les autres, ils s'en foutent éperduemment.

Je vous avais prévenus, c’est pessimiste. Parfois, il faut être capable de regarder en face. Plus tard on rêvera.

vendredi 25 juin 2010

À la Sainte-Marie

J’aime la poésie utile. Des mots qui riment, qui m’étonnent, qui s’acheminent tranquillement de ma pensée à mon esprit sensible. Des barrières qui s’effondrent et des phrases indépendantes qui servent des causes beaucoup trop grandes pour n’appartenir qu’aux autres. C’est le cas, lorsque j’écoute Samian (annishnabe et français), son ton rassembleur et sa fierté d’être ce qu’il est. Florent Vollant et son éternel battement de tambour qui rappelle les prouesses d’autrefois, l’immensité d’un pays et les déplacements incessants. J’aime tous les Fred Pellerin, Loco Lacass et Lynda Lemay, parce qu’ils ont choisi les paroles comme armes et ils possèdent en eux une inflexion qui s’appuie sur l’intolérance face à l’ignorance, pire, face à l’indifférence.

Et il y a la Sainte-Marie. Elle me fascine. C’est une femme rouge de la tête aux pieds, bien petite pour une âme de cette ampleur. Dans son dernier spectacle, elle prête la chaleur de sa voix aux innus. L’album Nitshisseniten e tshissenitamin (Je sais que tu sais) est une œuvre qu’elle a écrit avec son amie Bibitte (Joséphine Bacon). C'est de l’entendre prononcer si distinctement les mots et les rimes Innus, les syllabes qui glissent parfois dans la gorge et celles qui résonnent comme le bruit sourd du vent, comme la rivière épaisse qui file, un son creux, un souffle, une bouffée avalée aux accents de Pessamit. Parce que la langue n’est pas simple. Parce qu’elle se perd dans l’assimilation, dans la paresse et dans la modernité. Elle, la Chloé, se tient raide, droite jusqu'au premier accord de guitare. Puis, elle s’amenuise, souffre au-dedans d’elle la douleur des mal-aimés. Je comprends alors, que le mépris n’est pas une question d’ethnie et que la souffrance est quelque chose que l’on peut porter à plusieurs. Il aurait fallu danser, ce soir-là, lorsqu’elle a entonné le célèbre makusham du duo Kashtin, nous, les quelques Innus dans la salle et les Blancs aussi.

Quand aux artistes Innus, ils ont beaucoup de peine à se frayer un chemin dans l’industrie. Peut-être est-ce le folk-country qui ne convient plus, ou bien peut-être est-ce la langue incompréhensible? Peut-être devraient-ils adapter leur musique, à l’instar de Samian qui traduit ses textes en français? Peut-être devraient-ils tous déserter leur réserve pour habiter Montréal, la grande Métropole? Pour l’instant, il n’y a que la radio SOCAM (Société de communication Atikamekw Montagnais) qui les diffuse. Vous pouvez écouter la radio en ligne sur www.socam.net

Pour voir une interprétation de Chloé Sainte-Marie Mishapen Nitissinan, une chanson qui en dit long. Clip

vendredi 11 juin 2010

À quand la prochaine crise d’Oka?

Les Innus de Matimekush-Lac John et de Uashat mak Mani-Utenam refusent de reprendre les négociations avec la compagnie minière Labrador Iron Mines

C’est une histoire trop vieille pour être ravivée, mais cruciale pour des jours comme aujourd’hui. La crise de 1990, celle des Warriors, celle des armes et de l’armée, celle de la barricade, mais surtout et ne l’oublions pas, celle d’un terrain de golf. La ville d’Oka souhaitait agrandir leur terrain de golf, mais la communauté voisine Mohawks de Kanasatake affirme que ces terres leurs appartiennent et qu’elles abritent les vieilles âmes d’un cimetière. Tout a commencé par une marche pacifique des Mohawks dans les rues de Kanasatake et de la ville d’Oka. Et tout s’est très vite déstabilisé pour finalement dégénéré en une véritable guerre froide. Un mort du côté de la police, beaucoup d’arrestations du côté des Warriors et de la haine, de la haine véritable entre voisins. Je relate ceci et vous invite à visionner la dizaine de reportages de Radio-Canada archivés sur leur site web.

Aujourd’hui, les Innus de Matimekush-Lac John et de Uashat mak Mani-Utenam ont cessé toute négociations avec Labrador Iron Mines. La compagnie minière qui cherche à reprendre en main les anciennes installations de l’IOC n’arrive pas à une entente spécifique avec les deux communautés. Dans un communiqué de presse de l’Alliance Stratégique Innue, les 5 communautés membres approuvent et signent conjointement une lettre affirmant l’érection d’une barricade aujourd’hui même, le 11 juin 2010. Ils contestent le fait que les gouvernements et les compagnies privées acceptent de faire des ententes sur leur territoire sans leur consentement.

Ont-ils autre choix? Est-ce un précédant pour une autre crise de la même ampleur que celle d’Oka?

Chaque communauté Innue mène ses propres négociations territoriales. Celle-ci est spécifique au peuple qui habite Ushkututapan meshekenu (le territoire du chemin de fer), au Nord du 50e parallèle. On appelle cette terre ainsi parce que la seule voie d’accès terrestre est le train. Lorsque la mine de fer IOC a fermé ses portes en 1982, les Innus ont choisi de rester au sein même de la forêt. Ils ont élu domicile en terre sauvage et ce n’est par hasard si aujourd’hui ils refusent de la céder aussi facilement.

C’était un terrain de golf et puis c’est une mine de fer, et ailleurs, c’est tout un terrain de chasse que l’on troc pour l’abrasion d’une forêt. Les mohawks de kanasatake, les atikamekws de Manawan, de Wemontaci, les Wendats de Wendake, bientôt les Innus de Uashat, de Matimekush, n’ont plus de territoire de chasse. Ils se piétinent dessus dans leurs minuscules réserves alors que les populations ne cessent de s’accroître. Et puis on s’étonne des barricades, du refus de négocier, de la palpable inflexion des peuples des Premières Nations d'aujourd'hui.

Lien pour communiqué de presse Alliance Stratégique Innue http://www.cnw.ca/fr/releases/archive/June2010/09/c3608.html

mardi 1 juin 2010

Comme par hasard - La marche Amun

On est partis, fiston, mon amoureux et moi, en terre étrangère, pour le plaisir et pour être seuls, ensemble. Nous avons pris la route qui mène à Montréal, avons continué jusqu'à la frontière, bien décidés à la franchir pour rencontrer le peuple Canadiens-anglais. Il faut dire que je n'ai pas voyagé beaucoup dans ma vie. À peine effleuré les Rocheuses et l'île Victoria, New-York et ses environs, pas plus. Toute nouvelle patrie est apte à capter mon attention jusqu'à me faire dormir chez-elle. Arnprior, à une quarante de minutes d'Ottawa, seulement parce que mon hommve préfère la campagne, mais j'accepte, la campagne c'est romantique et puis ça ressemble à chez-moi, ces petits patlins tranquilles dans lesquelles il ne se passe jamais rien de bien grave. Mais ce n'est pas de ça dont je voulais vous parler.

Ottawa, c'est la première fois que je la voie. On marche quelques rues, pour la connaître. Une photo du parlement, comme preuve de visite, le sourire satisfait et bébé qui regarde ailleurs. Comme par hasard, la marche Amun se termine devant nous. Amun signifie Parler, en langue Innu. Un groupe de femmes ont marché de Wendake (Ville de Québec) jusqu'à Ottawa, devant le parlement pour dénoncer la situation des Premières Nations, plus particulièrement de la femme autochtone. 500 kilomètres à pied, pour faire honneur aux ancêtres qui ont si patiemment traversé le pays. 500 kilomètres, comme une certitude, une volonté, un espoir. Nous sommes garés au bon endroit pour les voir terminer leur long portage. La première, celle qui est à la tête du projet nous fait un sourire. Elle porte en elle la victoire de sa bataille, la beauté de sa patience et l'espoir rassembleur d'une femme qui n'a pas eu peur de croire que nous pouvions encore marcher, porter, traverser le pays.

Je les regarde passer, et il y a en moi cette fierté, si rare dans ces temps de misère. Je les regarde jusqu'au tout dernier marcheur, muette tandis que mon amoureux les encourage par des cris. Je voudrais les voir passer par centaines, par milliers. Je voudrais que la marche Amun dure jusqu'à l'autre extrémité du pays, et je voudrais surtout en faire partie.

Ce soir je me contente d'être fière de les avoir admirées, ces femmes qui ont osé croire que ce n'était pas impossible, que ce n'était pas en vain.