dimanche 22 mai 2011

Innue, femme humaine

Il y a des questions que je me pose, que je ne posais pas avant. Lorsque des journalistes entrent dans mon quotidien, ils trouvent parfois des choses à interroger. Élevée seule un enfant, aller à l’école et écrire un livre, je l’ai fait sans le savoir. Puis parler de mon peuple, une seule voix, je raconte des choses que je sais. Nous sommes une communauté, bien au-delà du terme. Nous savons tout de l’autre, et personne ne crèvera de faim chez-nous.

Après leur coup de fil, il y ces interrogations qui me restent. Avoir si vaillamment parlé des miens, je tente de comprendre en moi-même, ce que signifie être Innue, femme du peuple nomade. Je sais que ma grand-mère ne s’est jamais posée la question, car elle l’habitait cette culture ancienne, elle l’incarnait. Se poser la question, c’est mettre une distance, déjà. Lui poser la question, s’aurait été un affront à sa dignité, elle qui créait de ses mains habiles toute la beauté de ce que nous savons aujourd’hui, de ce qui reste.

Cette question elle me pèse, elle m’obsède. Être Innue?

Autrefois, ça devait être incroyable. La lourdeur sur les épaules. Traverser chaque mille à pied. Ne pas se plaindre. Chaque montagne comme la première. Observer l’enfant sautiller sur des flaques. C’est un monde que je ne connais pas. J’aurais voulu qu’on m’en parle. Sans complainte. J’aurais voulu savoir comment ma grand-mère accouchait de ses bébés.

Parce que je peux me fondre dans une culture qui n’est pas la mienne. Y trouver ma place, comme une autre. Me résoudre à n’être qu’une étincelle de moi, une brindille qui brûle et qui s’éteint par manque de foi. Je sais.

Être Innue. Je veux savoir comment. Au-delà des siècles et des dictatures et dominations, il y a un peuple, bien d’autres, qui ne cessent de se répandre.

Je ne sais pas ce que c’est que d’être Innue aujourd’hui. Je parle en tant que femme, je parle en tant que mère, je parle en tant que descendante des Premiers habitants. Ce que je sais, c’est l’émotion ancrée, presque enfouie dans le souffle, lorsque j’observe même distraitement une femme dépecer un caribou. Ou bien enlever toutes les aiguilles d’un porc-épic, pour qu’ailleurs on puisse le manger, pour que la table sois mise. Lorsqu’il fait automne et les feuilles ramollissent, il y a dans leurs gestes une vaillance que je ne saurais écrire. Dans leurs repas, une vigueur contrôlée. Ce sont elles qui nous ont élevés, nourris, puis rassasiés, elles ont été le témoin de nos querelles. Ces mères, vieilles de cent ans. Ces mères toutes jeunes, à peine pubères.

Être Innue? Femme humain, puisque Innu désigne aussi bien mon peuple que l’humain. Être Innue, dans un monde qui tend au multiculturalisme, au mondial. Innue, parce qu’il y aura plus tard des enfants qui nous parleront dans cette langue qui subsiste. Être Innue, parce que ne pas l’être c’est éteindre le feu qui brûle.

Je sais que je suis porteuse de quelque chose de plus grand que moi. Je veux le découvrir.

lundi 16 mai 2011

ailleurs

Petite, je croyais appartenir à un monde bien différent. Je ne savais pas le mépris. J’ignorais la condescendance. Même la justesse de ces mots. Même l’indifférence qu’apporte ce statut d'indienne. Je ne savais pas, mais je voulais être quelqu’un d’autre. Dans la même blancheur. Parce que le monde est petit, et je suis toute idiote de rêver d’un monde grand, dans lequel chacun saurait ce qu’il est. Dans lequel chacun aimerait ce qu’il est.

lundi 9 mai 2011

Lancement de Kuessipan à Uashat

Il y a quelques jours à peine, je me tenais debout devant une centaine de personnes. Quelques jours à peine, je leurs disais combien j’étais heureuse d’être parmi eux, parmi les miens, remerciant les uns et les autres, les proches et les visiteurs, d’être venus célébrer avec moi le lancement de mon premier livre. C’était l’ivresse d’un moment que je n’avais jamais encore vécu. Le cœur chaud et la main moite, je souriais. Une peur enfin disparue. Mon peuple affirmait que je disais.

Cette chose que je ne peux nommer, leur sourire et leur fierté, je l’ai vu ce soir-là, alors que je récitais le discours appris par cœur. Les regards que je croisais. Les visages que je reconnaissais. J’ai compris que j’étais la messagère d’une réalité beaucoup plus grande que moi. Ils étaient si nombreux, à demander que je dédicace leur livre, tout fraîchement acheté, bientôt lu. Même dans mes rêves. Même l’imaginaire n’aurait pas fait mieux.

Chez-moi c’est comme ailleurs. Je suis la fille d’une telle. Je le resterai toute ma vie. Mais cette étincelle dans leur regard. Cette joie dans leur sourire. Ma famille. Mes amis. Je ne veux jamais l’oublier. Aussi fraîchement que la fleur déracinée, lucide comme la pluie rencontre le sol. Ce soir-là, il pleuvait, mais y avait de la chaleur et de la lumière à l’intérieur.

Le seul que je n’ai pas pu remercier, c’est François Bon. Je me permets de le faire ici, parce que je sais qu’il lira. S’il suffit de croire en quelque chose pour qu’elle existe, bien je vous dois énormément. Merci d’avoir cru que ceci valait la peine. Car j’ai vu les visages et je sais que ça vaut la peine.

Iame Unepessish, à bientôt.