mardi 28 juin 2016

Invitation à madame Bombardier


« Par le passé, nous avons toujours tendu une main secourable à l’étranger qui venait chez nous pour s’y installer. Aujourd’hui, quoique nous soyons appauvris, nous croyons qu’il nous reste encore quelque chose à transmettre. »
Extrait du Manifeste des Amérindiens, 1970

Je suis de culture, d’origine, de descendance, et ces jours-ci, d’arrogance innue. Confrontée aux préjugés de personnes bien pensantes, je ressens avec une ferveur nouvelle la fierté d’appartenir à mon peuple. Que l’on ne m’aime pas, j’ai toujours su l’accepter. Par contre, que l’on croit me connaître parce que ma peau brune renvoie à ces diffamations abondamment véhiculées, solidement ancrées dans notre société, ne peut que ranimer l’ourse en moi. Je suis une femme en colère prête à se braquer pour le respect des siens.

Il est illusoire de penser connaître quelqu’un simplement à la vue de son nom de famille. Ou même en s’appuyant sur des chiffres statiques. La complexité de l’être humain dépasse la science, et j’ose affirmer, celle de madame Bombardier. Si je juge sans la connaître, une nation dans son ensemble, je suis - comment dit-on - raciste. 
          
Ce qui me semblerait juste, étant donné la tribune dont cette femme est maîtresse, et puisqu’elle n’a pas peur de nommer les choses telles qu’elle les conçoit, c’est qu’elle vienne lire son torchon dans nos communautés. Qu’elle se tienne droite devant nos grands-pères, nos grands-mères, qu’elles leurs disent vis-à-vis « d’oublier le mythe de la chasse et de la pêche, ces activités qui permettaient de se nourrir dans le passé. » À ceux-là même qui se préparent activement pour la saison de l’outarde, à celles qui cousent tranquillement des mocassins pour leurs nombreux petits-enfants.   

Il serait juste que tous les travailleurs, les entrepreneurs, les enseignants, les secrétaires, les éboueurs, les bâtisseurs de maison et les mères de famille de nos communautés entendent de la bouche de cette femme « qu’ils sont les damnés de la terre. »

Je voudrais qu’elle ait le courage de réitérer ses écrits devant mes élèves. Qu’elle leur présente combien il est « impossible d’être éduqué, soigné et de gagner sa vie » dans leur village. Ces mêmes élèves qui se prépareront dans quelques jours à l’épreuve ministérielle de français, le même examen que des milliers d’autres Québécois. Ces jeunes qui rêvent de devenir architecte, infirmier, policier.

D’ici là, demain, dans ma classe de cinquième secondaire, juste entre nous, je leur poserai la question : Sommes-nous ce qu’elle a dit? Son texte raciste, méprisant, enrubanné d’un mètre de condescendance, est-il vrai? Moi je le sais. Je me lève chaque matin avec la certitude que tout cela est un mensonge. Mais, eux le savent-ils? Lorsque les médias, publics et sociaux, internationaux et locaux, dépeignent les leurs sous les traits de problématiques de plus en plus en graves, de statistiques négatives, englobantes, de faits divers violents à l’extrême, la question est cruciale. Comment se voient-ils? Car je crois qu’il est possible, sans s’en rendre compte, d’entretenir à l’intérieur de soi des préjugés sur son propre peuple, sur sa propre famille. De croire ces personnes instruites qui nous dictent notre identité déficitaire. De nous restreindre à un quotidien peu ambitieux. D’accepter docilement que nous sommes nés pour manger de la misère au petit déjeuner.

C’est là que le combat commence. Le mien du moins. Pour se tenir droit, il faut d’abord croire en sa légitimité. Par-dessus tout, il faut trouver dans son histoire personnelle, sa dignité.   

jeudi 29 octobre 2015

Moi, femme autochtone

Je suis jeune, talentueuse, belle, d'intérieur et de nature, intelligente, je dirais brillante, mère d'un magnifique enfant, enseignante de français par amour de ce que les mots peuvent nommer, intellectuelle, informée de l'actualité, ouverte d'esprit pour avoir visiter d'autres pays, exigeante, croyante, rêveuse, trop quelques fois, insatiable lorsqu'il s'agit d'éducation, de savoirs, incroyablement émotive lorsqu'il s'agit de ma famille, franche si un ami me demande un conseil, coléreuse si on me manque de respect, rebelle devant des lois non-prescrites, triste, empathique, soucieuse devant la mort, repentante lorsque je fais du tort, pas parfaite, je suis résiliente, et j'espère toujours, l'espoir est mon ultime conviction, ma plus grande force.

Je suis grande, parce qu'une femme m'a fait pousser, parce que j'ai appris le monde, parce que j'ai apprivoisé mes peurs toutes simples d'être petite.

Je suis Innue, de la communauté de Uashat mak Maliotenam, et il m'a parut avisé de dire qui je suis, avant que d'autres prennent ma parole.

Nao


jeudi 25 juin 2015

À ceux qui restent

Je mourrai demain, dans une semaine, dans un an, très vieille,
Je mourrai de peur, d’une maladie ancienne, d'un accident
Dans un hospice ou dans un parc
En plein centre-ville, en regardant mes arrières petits-enfants grimper sur les cordes raides
Les regarder se balancer, le sourire dans les yeux et se lancer des blagues
Je mourrai un matin, en plein midi ou à minuit,
Dans un sommeil de chair qui ne m’appartiendra plus, tellement j’aurai vécu
Je mourrai
mais pas parce que je l’aurai voulu

Je mourrai loin de mon pays, en voyage tout inclus, au soleil
Le clair de lune dans mon paysage et la nuit noire dans mes vagues
Je mourrai dans mon petit 4 et demi, allongée sur mon divan,
Avec ma série fétiche et des popcorn au beurre
Je mourrai parce que le beurre aura bouché mes artères,
Et que la solitude m’aura fait peur
Je mourrai assise sur un banc de brasserie à boire mon dernier porto
Ou en fumant une cigarette à neuf mètres de ma maison
Je mourrai
Mais pas de mes propres mains

Je mourrai après mes histoires d'amour et les envers
Après les voyages au Portugal et les soupers tardifs 
Après les feux au chalet et la pêche à la mouche
Après les diplômes de mon enfant et les dindes du jour de l'an
Après les couleurs, après la gaieté et en jouant à la fée des dents 
Je mourrai 
Mais pas par désespoir

Je mourrai avec mes peines, mes échecs, mes déboires
Je mourrai seule, affrontant l’adversité malgré ma misère
Enfouie sous un mètre de honte, je mourrai sans avoir accompli mes rêves,
Nue sous une marée de regards
Me jugeant, tentant de me faire perdre la foi
Ils me tueront goutte à goutte à cause de mon orgueil
Je mourrai
Mais pas de mes propres mains
Je te le jure 

Je mourrai dans ses bras, forts et vigoureux
Quand j’aurai fait un homme de lui, de ses grands yeux bruns et doux
Quand une femme l’aimera, que ses enfants l’admireront
Je mourrai en laissant, une parcelle de moi
Dans ses gestes et dans sa voix
Je mourrai en silence, sans reproches et sans conseils,
Je serai très faible, une enfant ridée que l’on doit endormir
Je mourrai bientôt ou très tard
Mais pas de mes propres mains
C’est ma promesse
Ma seule victoire sur ta mort

Pour tous ceux qui ont perdu un être proche à cause du suicide. 

jeudi 4 juin 2015

la Bête

Je prends la plume aujourd’hui, sans mauvais jeux de mots. Je prends la plume, sans parure, sans peur, sans œillères, sans fard et sans cette mauvaise foi qui caractérise la conversation que j’ai eue hier midi avec une enseignante ne possédant aucune qualification en éducation qui relatait béatement les nombreux troubles de sa classe à Mingan.

En prenant la plume aujourd’hui, je ressens le poids de cette armure que je souhaitais solide vis-à-vis les préjugés sur mon peuple, que je constate très fragile, presque de la porcelaine. Une chose polie, longuement admirée. Puis cassante devant le regard de l’autre. Je me tais. Parce que dès qu’une fille à la peau brune tient tête, elle devient bestiale.

Je suis une bête. Instruite. Intelligente. Émotive. Je ne rote pas, je sirote mes mots. Je les bois. Je m’enivre. Mais comme toute gueule de bois, le lendemain est difficile à avaler. Parce qu’une fois seule chez moi, je réalise qu’ils sont dix à ne pas m’aimer, cent à croire que les élèves innus sont incapables,  mille à juger l’homme qui boit dans la rue principale de la réserve, dix milles à ne pas comprendre l’importance de se moderniser dans nos traditions. Des millions, des milliers de millions à croire que nous, premiers habitants de ce territoire, n’avons pas bâti ce pays.

Je mords ma lèvre.Je me retiens. Je me tiendrai debout, demain. Ailleurs. Mon fils quand il aura vingt ans.

Demain, devant cette enseignante de Mingan. Je lui dirai, que nous sommes magnifiques.






mercredi 20 mai 2015

Se tenir droit, Ayiti 2015

C'était la dernière journée avant mon retour au pays. Depuis un peu moins d'une semaine, nous faisions des conférences, des tables rondes, des lectures, nous plaçant au premier rang de ceux qui parlent, de ceux qui gesticulent en donnant un avis plus ou moins exact sur une réalité tellement éloignée de cette île sans rivières, il m'a semblé.

J'avais vu Haïti, deux ans auparavant. Ses montagnes brunes parsemées d'arbustes et de rochers, ses palmiers en guise de parasols et ses ruisseaux se tortillant sur une terre si sèche qu'elle ressemblait au sable, celui de nos terrains nordiques sans gazon. Seule et m'ouvrir à ce pays, ancienne république, nouvelle île de la possession des droits. Rarement, dans ma vie, un lieu m'avait autant décontenancée. Je me souviens. Pas tant par sa réalité, mais plutôt par l'absence de vérité dans ces idées qui depuis toujours m'avaient été transmises, ici, au Nord : Haïti, la pauvre, la quémandante. J'avais vu les femmes travailler du matin jusqu'à la noirceur, les étudiants bûchant, la détermination, l'obstination, puis la tendresse dans la musique. Depuis cette première visite, j'avais appris la fierté d'un peuple. Malgré toute l'ampleur des préjugés, j'avais appris qu'il fallait se tenir droit.

Il y a à peine dix jours de ça, c'était ma dernière journée en Ayiti, on avait visité le parc mémorial du tremblement de terre, un paradis de verdure. Main dans la main, nous les étrangers, nous avions remercié le Créateur pour la vie. Simplement. Sans chercher d'explications. Comme une fable. Même si la fable là-bas, est plus dure que dans les livres.

Alors c'était ce moment-là, très simple, dans une bibliothèque de Port-au-Prince, une vingtaine de jeunes devant nous, filles et garçons, des presque adultes. Il y avait le chef d’Ekuanitshit, Jean-Charles Pietacho, un homme droit et intègre que je ne connaissais pas avant, Rita Mestekosho, une femme de coeur, spirituelle à la voix plus perçante que celle de l'aigle, et Joséphine, madame Joséphine, que j’aime,  avec sa parole douce et sa force de persuasion. Nous étions quatre, avec moi. 

Je ne peux pas dire comment les paroles se sont entremêlées, comment les mots du Chef ont confirmé ceux que j’avais toujours pensées, comment les vers de Joséphine m’ont émue, comme s’il s’agissait de la première fois. Dans cette discussion qui n’aurait de fin qu’à la pointe du jour, je ne sais pas, je n’explique pas, je constate, que nous, Innus, avions besoin de cela. L’aigle a chanté et nous avons compris que même à l’autre bout de ce continent, nous existions. Les Haïtiens, une fois encore, m’offraient ce cadeau. Le droit de m’appartenir. D’être, comme je suis, avec mon histoire et mes labeurs, ma fierté et mes découragements. Je parlais de combat et le Chef parlait d’affirmation. Là, sur cette île, je comprenais mieux.


La fierté n’est pas une émotion refoulée, ni des plumes portées sur les cheveux. La fierté est quelque chose de très vraie qui se construit. La fierté est une armure parce que devant les préjugés elle devient solide. Après, on peut s'ouvrir. 

Tshi nishkumitin, Ayiti mai 2015







mercredi 25 mars 2015

Petit homme

Il me dit, j’aime pas dormir. Quand je dors, je te cherche, et je te trouve pas, je trouve un monstre. Je lui dis, je sais. Ça s’appelle des cauchemars.

Comme si.

Il joue des rôles sans cesse. Il est pirate. Il me tire dessus. Il est musicien. Il me chante  le pardon. Puis il est élève. Indiscipliné. Il n’écoute rien. Je répète le son. Il entend la musique. Je me fâche.

Comme si.

Il me voit avec un homme, il me parle d’amour. Je lui parle d’amitié, il me parle d’intimité. Il me dit qu’il est d’accord, tant qu’il n’est pas là. Je me soumets, en riant. Je me soumets.

Comme si.

Il me demande si la mort un jour, ça dure. Je lui dis qu’on mourra très tard. Il répète, si ça dure? Je lui en veux. Je réponds bêtement qu’il est trop petit.


Comme si je savais moi. 

mardi 28 octobre 2014

Neka

Les autres, ils me disent, que c’est parce que nous sommes semblables, qu’il est si difficile de s’atteindre.

Il est impossible d’imaginer ma mère sans sa foi. J’ai appris très jeune ce qu’était la foi. Croire en quelque chose que l’on ne voit pas. Nous étions petits, nous la suivions dans cette église qui ressemblait davantage à une salle communautaire qu’à un lieu sacré, sans clocher, sans statues. Une bâtisse récente, voisin d’une salle de quilles. De petites fenêtres sur les côtés, sans vitraux. Une grande porte en bois, tout de même, pour accueillir les croyants, ceux qui se pointaient le dimanche avec leurs beaux habits et une bible à la main.

Beaucoup de souvenirs débordent de ces portes. Les gens chantaient en tapant des mains, très souriant. Ils s’agenouillaient, ils imploraient. Ils levaient les mains au ciel et parfois, tant ils étaient émus, ils pleuraient.

Le fait de s’avouer de confession protestante avait été tout un scandale dans la famille, dans la réserve. Depuis la colonisation, les pensionnats, il n’y en avait que pour la religion catholique. Parce qu’ils étaient des êtres spirituels, qu’ils croyaient au-delà de ce qu’ils percevaient, les Innus ne se rebutèrent pas contre le catholicisme à l’époque. Dans la misère des famines et des hivers arides, quand ils s’exténuaient à combattre la forêt, ils avaient accepté qu’une puissance supérieure existait. Elle fut la première à se rebeller, ma mère. La première à ne pas faire baptiser ses enfants. La première à s’exclure des premières communions, des neuvaines, des prières au chapelet. Elle n’avait même pas vingt ans. On ne l’a pas torturée, pas physiquement du moins.  

Il existe un mot innu pour les protestants depuis ma mère. On les appelle :kamataueimat, ceux qui prient de manière étrange.  Une insulte, de la part d’un peuple très pieux.

Pour moi c’est la preuve évidente, que ma mère et moi sommes de la même étoffe. Foncer et nier l’adversité. S’affirmer. Être différente, ne pas s’en préoccuper. Souffrir, pleurer, être seule, en exil, mais ne pas, ne jamais baisser les bras parce que ce chemin est le seul qui peut nous sauver. Je ne peux pas parler d’elle sans parler de son audace. 

La foi je l’ai. Croire plus loin que ce que mes yeux peuvent voir. Surtout lorsque je suis triste, surtout lorsque je suis dépourvue, surtout lorsque je ne comprends pas cette vie injuste et cruelle, qui épargne les criminels et méprise les mères tranquilles. Je crois qu’il y a plus grand que cette vie, et si j’ai tords, si tout ce qui existe est perceptible, au moins toute ma vie durant, j’aurai eu l’espoir.

Je me suis souvent posée la question. Pourquoi partir si loin, lorsque tout ce qui nous appartenait se retrouvait à Uashat. Surtout au secondaire. Elle m’avait introduite dans une école privée, l’une des plus prestigieuses de la ville,  parce que je cumulais de bonnes notes au primaire, mais personne ne m’avait préparée à ce milieu. 

Les pères de mes amis étaient des avocats, des professeurs, des présidents de compagnie. Le mien, il était mort bêtement d’un accident d’auto. Je n’étais pas à leur hauteur. Leur mère s’occupaient de la maison, de leurs études. Je les imaginais comme des femmes très soignées qui attendaient les visiteurs, buvant une tasse de thé chaud dans leur salon. Elles cuisinaient du requin sauce tartare au souper. Elles pliaient le linge propre. Ces femmes-là, elles ne s’éclaffaient pas, elles joignaient les genoux lorsqu’elles s’assoyaient. Je n’étais pas de cette lignée. Nous mangions du pâté chinois et des macaronis à la viande. Le vendredi, c’était la soirée fast-food. Le dimanche, le meilleur repas de la semaine, du poulet rôti  ou des steaks avec des patates pillées. Toujours, il y avait un dessert sucré.  Tout ce temps, entre les repas et l’organisation pittoresque d’une famille de cinq enfants, elle étudiait. Je la voyais, le soir, après le souper servi, sur cette immense table de cuisine qui lui servait de bureau, lire et relire ses notes de cours. Fermer les yeux, les réciter par cœur. Le par cœur aujourd’hui, je sais, ne donne rien. Du coup, je trouve encore plus triste cette réalité monoparentale. Comme un supplice, une dureté. Il est impossible de parler de ma mère sans parler de sa force.