lundi 29 novembre 2010

Nekuess

Je ne parle pas de lui très souvent, sinon en parallèle, sinon en marge. Le petit être qui partage ma vie, la façonne, et bien souvent, l'oriente. C'est parce qu'il ne parle pas beaucoup, mis à part lorsqu'il veut un autre biscuit, ou alors lorsqu'il crie maman en pleine nuit. Il est petit, insensé dans ses manières; il dit des mots inintelligibles, me regarde avec insistance; il pense que je sais ce qu'il sait, si adorable lorsqu'il me pousse adroitement de ses de petits bras vers le but convoité.

Il est là, le matin, le jour, le soir, la nuit. Cette petite personne à qui bien malencontreusement j'ai donné la vie. Sans le vouloir, mais sans pouvoir la lui reprendre. Il est né chauve, avec la peau foncé, des rides qui apparaissaient sur son front dans ses élans de larmes et avec de minuscules mains qu'on embrasse sans savoir pourquoi. Muashkuss, mon petit ours.

Il est là le matin, engouffrant un bol de céréales alors que je bois tranquillement un café en parfaite étudiante. Il est là le jour avec les dix milles voitures qu'il éparpille pour mieux que je nettoie. Il est là le soir, dans ma solitude de mère, dans mes angoisses de ne pas être à la hauteur; il est là qui m'observe et me sourie, mon fiston. Il est ma poésie, si poésie est synonyme d'espérance, de beauté et de larmes versée.

Un petit homme, haut comme trois pied, qui partage ma vie, lui donne vie, la rend belle. Je souhaite qu'il tombera amoureux, j'espère qu'il rêvera plus haut que les étoiles le permettent, je veux qu'il croit, bien au-delà des règles bétons de la société, que la beauté est celle que le coeur imagine. Un rêveur, un penseur, ne idéaliste. Pauvre petit lui.

Je t'aime fils

jeudi 25 novembre 2010

Innu aimun- la langue innue

La langue est le pari risqué d'un peuple. Si elle survit, le peuple survit. Et si elle se noie dans le pluralisme d'une société nouvelle, le peuple se noie aussi. Oubliant la nécessité d'appartenir à ce qui leur est ancien, imprégné sur le sol des chemins parcourus. Je possède deux langues, le français et l'innu, mais seulement l'une d'elles est mienne. Parce que ma grand-mère saura que je parle d'elle si je dis Nukum. Parce que mon fils comprend que Nekuess c'est aussi son nom. Parce que l'amour profond que je porte à ceux qui me sont chers se traduit par un tshe shuenemeten.

Le risque dans le pari, c'est le libre arbitre. Une professeur plutôt drastique de l'histoire de la langue française nous disait qu'il suffisait de trois générations pour éteindre une langue chez une famille immigrante. Les grands-parents sont unilingues espagnol, les parents sont bilingues espagnol et français, les enfants ne parlent que le français. Je ne suis pas immigrante, mais je vis dans une ville où personne ne parle ma langue. Ce combat, je le mène moi aussi, et d'autres avec moi, pour que jamais nos enfants ne soient la dernière génération.

Je veux qu'il apprenne à dire Neka, maman, lorsqu'il aura quelque chose de très important à me demander. Je veux cette proximité, presque le secret, qu'apporteront nos conversations en innu dans les lieux publics. Je veux qu'il comprenne ses petits-cousins de Uashat, et qu'il se sente appartenir à ce peuple de nomades qui ont toujours su nommer la moindre petite chose qui vivait, qui poussait sur le sol.

vendredi 19 novembre 2010

Rendre à César

J'écris ceci, sans vouloir être flatteuse, mais parce que je crois que rien n'arrive dans le hasard.

Il y a un peu plus d'un an, j'ai choisi de suivre un cours de création littéraire de M. François Bon. Mes choix de cours, je les ai toujours fait sans beaucoup d'appréhension, alors ce Bon dans le nom du professeur, ne m'apparaissait ni étranger, ni prometteur. La première fois que j'ai rencontré ce vieux Français à l'accent bien intégré, j'ai bien cru ne jamais rien comprendre de ce qu'il disait et de ce qui semblait si impératif que l'on comprenne. Dans sa gestuelle, dans ses mots, il était plus qu'expressif. Il était implosif de cette passion que l'on contient qui jaillit bien au-delà du désir. C'est ainsi qu'il était, en parlant de Simon, de Duras et surtout de Perec. Lorsqu'il lisait, il tapait le tempo avec le pied. Les textes que nous écrivions avaient tellement plus de rythme, de sens, lorsque c'était lui qui les lisait. Nous avions l'impression d'être écrivains.

J'écris depuis mon enfance. J'ai écrit un journal, des lettres sans correspondance, des textes courts, mes états d'âmes. J'écrivais parce que j'aimais être face à moi-même, parce que j'aimais les belles tournures de phrases. Mais jamais, je n'avais pensé, avant cette rencontre avec François Bon, que tout cela avait du sens, un quelconque intérêt.

Il a aimé, je suppose, les thèmes que j'abordais. Touché d'entendre lire un autre peuple que le sien. Il a cru que ce que j'avais à dire avait une importance, une portée. Pour ma part, il a saisi, bien au-delà des mots, l'émotion abstraite de vouloir exister, de ne jamais être cloisonnée, de faire partie, mais d'être soi. J'ai aimé lorsqu'il disait en critiquant mes textes: ça on s'en fout. Plus encore: il faut oser dire que personne n'a vu Paris.

Je crois que l'on ne naît pas ni ne devient écrivain. Je crois que ce sont les autres qui font de nous des écrivains.

Merci M. François Bon

dimanche 14 novembre 2010

Pour elles

Tout récemment, mon livre Kuessipen qui signifie "À mon tour" en Innu, a été publié sur publie.net. C'était un évènement! Dans ma toute petite existence de mère et d'étudiante, j'ai eu l'impression d'être quelqu'un.

Ce dont je parle. Mon peuple les Innus, longuement appelé Montagnais mais qui depuis peu se sont réappropriés leur propre nom jusque dans les livres d'Histoire. Ma réserve, mon village, Uashat qui signifie là où la terre se courbe, une baie. Ma famille, ceux qui me sont chers, ceux que je connais, ceux qui m'ont appris les choses que je sais de la vie. Mon garçonnet, mon espoir, mon rire, ma persévérance. Je parle de lieux qui existent, je parle de choses qui ont lieu. J'ai voulu être honnête, même si la réalité parfois nous écrase dans nos idéaux et nos rêves de devenir fort.

Ce dont je ne parle pas, c'est ma peur solidement ancrée dans chacun de mes mots de ne pas être vraie. De décrire une réserve que même ses habitants ne sauraient reconnaître. De mentir sur notre nature si longtemps dénaturés par d'autres. Je ne parle pas de ce que je n'ai pas vu ou entendu. Certainement, je courbe les phrases, comme la terre se courbe lorsque l'eau va à sa rencontre. Certainement, je ne dis pas tout. J'ai voulu partager le fardeau bien lourd de mon peuple. J'ai voulu que les autres saches la souffrance, pour la compassion que cela apporte, la compréhension au lieu de la pitié qui ne nourrit personne et dont personne n'en sort grandi.

Je me disais, entre deux lavages, comme il serait plaisant que les gens parlent de mon livre. Qu'ils le critiquent, comme si j'étais écrivaine. Je rêvassais pour continuer d'être quelqu'un dans mon petit 4 et demi, tout juste grand pour mon imaginaire. Puis, il y a eu une madame cjeanney sur Pages à pages qui a publié un texte magnifique qui rend le mien plus persuasif. Je lui en suis très reconnaissante.

Il y a eu confirmation de la pertinence. Mais comment le décrire sans l'écrire, cette émotion que j'ai ressenti en faisant la lecture d'un de mes textes à ma mère et à sa soeur en pleine matinée, en buvant du café. Je leur lisais deux paragraphes que j'avais écrit pour ma grand-mère, leur mère. Mes souvenirs à moi, une femme qui avait donné la vie à dix-neuf enfants, qui nous nourrissaient à chaque visite. Dans la simplicité qu'elle était, dans cette fermeté dont elle accomplissait toute sa besogne du jour. Dans ses imperfections et dans sa beauté. Ma mère et ma tante ont pleuré, comme on pleure sur une morte qui nous manque. C'était elle, bien vivante dans les quelques mots que j'avais écrits. Et c'est pour elles, pour ceux qui se souviennent que j'écris, aussi. Tenter de laisser une marque plus ou moins tangible sur la longue humanité. Pour elles, et pour eux, qui restent fiers même dans la souffrance, fier d'appartenir. L'espoir de voir renaître la fierté de mon peuple. Bien au-delà des mots, il y a nous.


Mon livre sur www.publie.net http://www.publie.net/fr/ebook/9782814503793/kuessipen

La critique sur Pages à pages http://pagesapages.wordpress.com/2010/11/11/kuessipen-de-naomi-fontaine/