Il y a des questions que je me pose, que je ne posais pas avant. Lorsque des journalistes entrent dans mon quotidien, ils trouvent parfois des choses à interroger. Élevée seule un enfant, aller à l’école et écrire un livre, je l’ai fait sans le savoir. Puis parler de mon peuple, une seule voix, je raconte des choses que je sais. Nous sommes une communauté, bien au-delà du terme. Nous savons tout de l’autre, et personne ne crèvera de faim chez-nous.
Après leur coup de fil, il y ces interrogations qui me restent. Avoir si vaillamment parlé des miens, je tente de comprendre en moi-même, ce que signifie être Innue, femme du peuple nomade. Je sais que ma grand-mère ne s’est jamais posée la question, car elle l’habitait cette culture ancienne, elle l’incarnait. Se poser la question, c’est mettre une distance, déjà. Lui poser la question, s’aurait été un affront à sa dignité, elle qui créait de ses mains habiles toute la beauté de ce que nous savons aujourd’hui, de ce qui reste.
Cette question elle me pèse, elle m’obsède. Être Innue?
Autrefois, ça devait être incroyable. La lourdeur sur les épaules. Traverser chaque mille à pied. Ne pas se plaindre. Chaque montagne comme la première. Observer l’enfant sautiller sur des flaques. C’est un monde que je ne connais pas. J’aurais voulu qu’on m’en parle. Sans complainte. J’aurais voulu savoir comment ma grand-mère accouchait de ses bébés.
Parce que je peux me fondre dans une culture qui n’est pas la mienne. Y trouver ma place, comme une autre. Me résoudre à n’être qu’une étincelle de moi, une brindille qui brûle et qui s’éteint par manque de foi. Je sais.
Être Innue. Je veux savoir comment. Au-delà des siècles et des dictatures et dominations, il y a un peuple, bien d’autres, qui ne cessent de se répandre.
Je ne sais pas ce que c’est que d’être Innue aujourd’hui. Je parle en tant que femme, je parle en tant que mère, je parle en tant que descendante des Premiers habitants. Ce que je sais, c’est l’émotion ancrée, presque enfouie dans le souffle, lorsque j’observe même distraitement une femme dépecer un caribou. Ou bien enlever toutes les aiguilles d’un porc-épic, pour qu’ailleurs on puisse le manger, pour que la table sois mise. Lorsqu’il fait automne et les feuilles ramollissent, il y a dans leurs gestes une vaillance que je ne saurais écrire. Dans leurs repas, une vigueur contrôlée. Ce sont elles qui nous ont élevés, nourris, puis rassasiés, elles ont été le témoin de nos querelles. Ces mères, vieilles de cent ans. Ces mères toutes jeunes, à peine pubères.
Être Innue? Femme humain, puisque Innu désigne aussi bien mon peuple que l’humain. Être Innue, dans un monde qui tend au multiculturalisme, au mondial. Innue, parce qu’il y aura plus tard des enfants qui nous parleront dans cette langue qui subsiste. Être Innue, parce que ne pas l’être c’est éteindre le feu qui brûle.
Je sais que je suis porteuse de quelque chose de plus grand que moi. Je veux le découvrir.
nouvel espace de questions...
RépondreSupprimerCette question de l'identité et de sa conscience d'appartenir à un groupe m'interpelle. Je suppose que le simple mot Innue fait rêver des occidentales comme moi. Ma revendication de femme vivant à l'étranger se pose souvent en terme de ma provenance. Je viens d'un petit village du Nord de la France et je me sens Unique, je me sens dans l'ancien de mes racines quand j'entends mon patois qui me fait chaud au cœur. Je me suis entendue dire que j'avais eu un parcours extraordinaire de femme mariée par impulsion pour échapper à des pressions diverses, arrivée dans la grande ville, expérience de la violence masculine, élever un gamin dans une autre langue, sortir du chômage. Je n'avais pas eu conscience de cet extraordinaire ; en fait je me rabaissais moi-même tant je me sentais hors-norme et inaboutie ! Maintenant peut-être je relève la tête... Nous sommes tous Innue, Unique. Le regard journaliste voudrait nous montrer comme des bêtes de cirques en voie de disparition ! Non ! Personne n'est extraordinaire et tout le monde l'est en même temps.
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