Revenir est la fatalité. Dans ce tout petit village, dans cette nature
épineuse, sablonneuse, imaginée de toutes pièces depuis mon enfance, immuable souvenir.
J’avais sept ans.
Petite fille brune parmi tous ces visages blanc, ces yeux pâles, bleus ou
verts, ces cheveux blonds ou dorés. Étrangère. Nouvelle venue. Différente. Ne pas se sentir chez-soi.
Quitter ma maison beige aux poutres brun
foncé, c’était tout quitter. Le tout peut sembler insignifiant lorsque l'on ne possède presque rien. Un lit en fer blanc et une couverture à motifs de feuilles beiges
et blanches. Une maison de poupée, une salle de jeux immense au sous-sol. Passer
tout l’hiver aux joues rouges de froid, tout l’été à la peau aussi brune que
celle des enfants du Sud. Peut-être un jour je reviendrais sur le bord de cette
baie, embrasser ma tante et jouer dans ma chambre.
Dans ma rue, je me
fondais à la masse, moi la petite fille tranquille. Je pleurais si peu bébé,
que ma mère bousculait mon sommeil s’assurant de mon respire. Je pleurais si
peu enfant que ma mère m’avait oubliée sur les marches de l’escalier. Plus
tard, l’étrange justice de la vie a rattrapé chacune de ces larmes
L’exil pour moi se
trouve à huit heures en voiture et il a la peau pâle. Il avait fallu à ma mère
deux jours pour faire la route, cette distance que je ne pouvais calculer que
par le nombre de villages à traverser. J’ai fini par les apprendre par cœur. Et
les arrêts, et les étapes. Suivre le rythme et avancer à la limite permise. J’ignore
si ailleurs le monde a changé. Ce que je sais, c’est cette courbe mortelle qu’ils
ont finalement traversée d’une route droite, à Saint-Siméon. C’est l’absence perpétuelle
d’un pont entre Baie-Sainte-Catherine et Tadoussac, le nid de cette rivière
devenue aussi profonde que la mer. C’est cette toute petite paroisse dont j’oublie
déjà le nom, qui fermera bientôt ses portes, parce que la 138, désormais la
contourne.
Ils disent que le
retour est le chemin des exilés. Qu’il existe dans la patience d’un homme un
aboutissement à s’être mis à part quelque temps. Je n’ai pas choisi de partir.
Vingt ans plus tard, je reviens et constate que les choses ont changées.