C'était la dernière journée avant mon retour au pays. Depuis
un peu moins d'une semaine, nous faisions des conférences, des tables rondes,
des lectures, nous plaçant au premier rang de ceux qui parlent, de ceux qui
gesticulent en donnant un avis plus ou moins exact sur une réalité tellement
éloignée de cette île sans rivières, il m'a semblé.
J'avais vu Haïti, deux ans auparavant. Ses montagnes brunes
parsemées d'arbustes et de rochers, ses palmiers en guise de parasols et ses
ruisseaux se tortillant sur une terre si sèche qu'elle ressemblait au sable,
celui de nos terrains nordiques sans gazon. Seule et m'ouvrir à ce pays,
ancienne république, nouvelle île de la possession des droits. Rarement, dans
ma vie, un lieu m'avait autant décontenancée. Je me souviens. Pas tant par sa
réalité, mais plutôt par l'absence de vérité dans ces idées qui depuis toujours
m'avaient été transmises, ici, au Nord : Haïti, la pauvre, la quémandante. J'avais vu les femmes travailler du matin jusqu'à la noirceur, les étudiants bûchant, la détermination, l'obstination, puis la tendresse dans la musique. Depuis cette première visite, j'avais appris la fierté d'un peuple. Malgré
toute l'ampleur des préjugés, j'avais appris qu'il fallait se tenir droit.
Il y a à peine dix jours de ça, c'était ma dernière journée
en Ayiti, on avait visité le parc mémorial du tremblement de terre, un paradis
de verdure. Main dans la main, nous les étrangers, nous avions remercié le
Créateur pour la vie. Simplement. Sans chercher d'explications. Comme une
fable. Même si la fable là-bas, est plus dure que dans les livres.
Alors c'était ce moment-là, très simple, dans une
bibliothèque de Port-au-Prince, une vingtaine de jeunes devant nous, filles et garçons,
des presque adultes. Il y avait le chef d’Ekuanitshit, Jean-Charles Pietacho,
un homme droit et intègre que je ne connaissais pas avant, Rita Mestekosho, une
femme de coeur, spirituelle à la voix plus perçante que celle de l'aigle, et
Joséphine, madame Joséphine, que j’aime, avec sa parole douce et sa force de persuasion.
Nous étions quatre, avec moi.
Je ne peux pas dire comment les paroles se sont entremêlées,
comment les mots du Chef ont confirmé ceux que j’avais toujours pensées,
comment les vers de Joséphine m’ont émue, comme s’il s’agissait de la première
fois. Dans cette discussion qui n’aurait de fin qu’à la pointe du jour, je ne
sais pas, je n’explique pas, je constate, que nous, Innus, avions besoin de
cela. L’aigle a chanté et nous avons compris que même à l’autre bout de ce
continent, nous existions. Les Haïtiens, une fois encore, m’offraient ce cadeau. Le
droit de m’appartenir. D’être, comme je suis, avec mon histoire et mes labeurs,
ma fierté et mes découragements. Je parlais de combat et le Chef parlait d’affirmation.
Là, sur cette île, je comprenais mieux.
La fierté n’est pas une émotion refoulée, ni des plumes portées
sur les cheveux. La fierté est quelque chose de très vraie qui se
construit. La fierté est une armure parce que devant les préjugés elle devient
solide. Après, on peut s'ouvrir.
Tshi nishkumitin, Ayiti mai 2015