« Par le passé, nous avons toujours
tendu une main secourable à l’étranger qui venait chez nous pour s’y installer.
Aujourd’hui, quoique nous soyons appauvris, nous croyons qu’il nous reste
encore quelque chose à transmettre. »
Extrait du Manifeste des Amérindiens, 1970
Je
suis de culture, d’origine, de descendance, et ces jours-ci, d’arrogance innue.
Confrontée aux préjugés de personnes bien pensantes, je ressens avec une
ferveur nouvelle la fierté d’appartenir à mon peuple. Que l’on ne m’aime pas,
j’ai toujours su l’accepter. Par contre, que l’on croit me connaître parce que
ma peau brune renvoie à ces diffamations abondamment véhiculées, solidement
ancrées dans notre société, ne peut que ranimer l’ourse en moi. Je suis une
femme en colère prête à se braquer pour le respect des siens.
Il
est illusoire de penser connaître quelqu’un simplement à la vue de son nom de
famille. Ou même en s’appuyant sur des chiffres statiques. La complexité de l’être
humain dépasse la science, et j’ose affirmer, celle de madame Bombardier. Si je
juge sans la connaître, une nation dans son ensemble, je suis - comment dit-on
- raciste.
Ce qui me semblerait juste, étant donné la tribune dont
cette femme est maîtresse, et puisqu’elle n’a pas peur de nommer les choses
telles qu’elle les conçoit, c’est qu’elle vienne lire son torchon dans nos
communautés. Qu’elle se tienne droite devant nos grands-pères, nos
grands-mères, qu’elles leurs disent vis-à-vis « d’oublier le mythe de la
chasse et de la pêche, ces activités qui permettaient de se nourrir dans le
passé. » À ceux-là même qui se préparent activement pour la saison de
l’outarde, à celles qui cousent tranquillement des mocassins pour leurs
nombreux petits-enfants.
Il serait juste que tous les travailleurs, les
entrepreneurs, les enseignants, les secrétaires, les éboueurs, les bâtisseurs
de maison et les mères de famille de nos communautés entendent de la bouche de
cette femme « qu’ils sont les damnés de la terre. »
Je
voudrais qu’elle ait le courage de réitérer ses écrits devant mes élèves. Qu’elle
leur présente combien il est « impossible d’être éduqué, soigné et de
gagner sa vie » dans leur village. Ces mêmes élèves qui se prépareront
dans quelques jours à l’épreuve ministérielle de français, le même examen que
des milliers d’autres Québécois. Ces jeunes qui rêvent de devenir architecte,
infirmier, policier.
D’ici
là, demain, dans ma classe de cinquième secondaire, juste entre nous, je leur
poserai la question : Sommes-nous ce
qu’elle a dit? Son texte raciste, méprisant, enrubanné d’un mètre de
condescendance, est-il vrai? Moi je le sais. Je me lève chaque matin avec la
certitude que tout cela est un mensonge. Mais, eux le savent-ils? Lorsque les
médias, publics et sociaux, internationaux et locaux, dépeignent les leurs sous
les traits de problématiques de plus en plus en graves, de statistiques
négatives, englobantes, de faits divers violents à l’extrême, la question est
cruciale. Comment se voient-ils? Car je crois qu’il est possible, sans s’en
rendre compte, d’entretenir à l’intérieur de soi des préjugés sur son propre
peuple, sur sa propre famille. De croire ces personnes instruites qui nous
dictent notre identité déficitaire. De nous restreindre à un quotidien peu
ambitieux. D’accepter docilement que nous sommes nés pour manger de la misère
au petit déjeuner.
C’est
là que le combat commence. Le mien du moins. Pour se tenir droit, il faut
d’abord croire en sa légitimité. Par-dessus tout, il faut trouver dans son
histoire personnelle, sa dignité.