mardi 11 mai 2010

Atik, caribou

La situation était historique. Plus d'une centaine d'Innus, issus des quatre coins de la Côte-Nord (serait juste de dire racoin), se sont assemblés à l'hôtel de Fermont pour revendiquer le droit de chasser le caribou en terre du Labrador. Depuis l'interdiction de la chasse au Labrador, car bien sûr l'instinction de l'espèce est un désastre, les Innus cherchent et rôdent en forêt en vain. Le troupeau qui passaient tous les ans sur nos terres, à quelques mètres de Shefferville, prend désormais un autre chemin. Il doit contourner les rivières immenses créées par les barrages. Il doit survivre à un trajet beaucoup plus long, alors que son nombre diminue d'année en année.

Les chasseurs étaient présents, comme ils le sont depuis toujours, de père en fils. Conscients du problème. Conscients de leur survie à eux aussi. Ensembles, ils ont franchit la frontière de la chasse interdite, ils ont installé leurs tentes sur la neige, près de la route. Les chefs se sont réunis le soir dans la plus grande des tentes. Ils ont parlé de choses passées, anciennes, traditionnelles aujourd'hui. Il y avait de très jeunes chasseurs, de très vieux coureurs et quelques femmes pour faire cuire le pain frais de tous les jours, comme une habitude. Ensembles, ils n'étaient plus des récalcitrants, des fouteurs de troubles. Ensembles, ils étaient les guerriers de la race, comme l'ont été nos pères, prêts à se battre pour leur familles. La chasse a été bonne. Plus de deux cent caribous tués, qui furent donnés aux familles dans les villages Innus. On donne toujours priorité aux vieux, ceux qui ont passé l'âge de courir les bois, puis aux femmes seules, et finalement à tous les autres. C'est ainsi qu'on distribue la viande, le saumon, et autres richesses dites naturelles.

Le chasseur est là, il raconte ces choses sans se presser. Il dit, comme une promesse: Nous l'avons là, imprimé dans le sang. Le caribou, nous irons le chercher où il sera.

lundi 3 mai 2010

Classe

Ils sont là, ils m'observent. Attendent que je dise quelque chose. Il y en a un qui est beaucoup plus grand, plus costaud que moi. Il est assis à la première rangée, le bureau le plus à gauche. Une fille aux cheveux longs qui dessine dans son agenda. Une petite avec un foulard rouge sur la tête rit les deux mains devant la bouche. Un autre, derrière, qui fixe le sol.

Ils ne savent pas que je ne sais rien. Que je suis perplexe derrière mon grand sourire et mes mains qui se baladent sur mon bureau bien centré devant eux. On m'avait dit de faire celle qui est au-dessus de ses affaires. De ne jamais montrer ma peur. Mais je n'y arrive pas. Je ris lorsqu'un élève dit une blague un petit peu déplacée. J'installe le silence pour le briser moi-même. Je les écoute me parler de la partie de hockey d'hier. Ils sont si nombreux à vouloir attirer mon attention, que je ne sais plus trop lequel écouter. Je leur réponds en Innu, comme une grande soeur.

Puis tout à coup, ils me parlent de mutilation, de drogues. Ils s'interpellent par des mots affreux comme violeur. Je dis c'est pas bien. Je leur dit d'arrêter. Je confisque des punaises. Ils me demandent pourquoi? Je dis il ne faut pas, c'est tout. Je voudrais être ailleurs. Serrer mon fils très fort dans mes bras et lui dire combien il est précieux.

La cloche sonne. Nous sommes libérés. Eux de leurs chaises. Moi de mon incompétence.

samedi 1 mai 2010

"De la honte à la fierté"

Il y a quelques années, une femme que j'admire a écrit un texte pour un travail universitaire. Elle devait faire un parcours de vie, une sorte de témoignage. Elle a parlé de sa réserve, où sa famille s'était installée, où elle avait grandi timide et réservée. Elle a parlé de ses quatre enfants qu'elle a eu avec son mari avant qu'il décède. Puis de la petite dernière qu'elle a eu avec un amant avant qu'elle décide de déménager à Québec. Elle a parlé de son rêve de fonder une famille nombreuse et de ses difficultés à l'élever une fois mis au monde. Mais surtout, elle a parlé de sa gêne, de sa honte à elle, d'être une indienne. Elle se trouvait ridicule, troublée, inadmissible dans un monde extérieur à son village. Elle avait peur de tout.

Puis, elle a rencontré une femme blanche qui lui parlait de son peuple avec compassion, de sa beauté à elle comme une transparence. Cette confidente voyait en elle une âme plus grande que ce qu'elle-même, petite femme innue ne pouvait imaginer. "La beauté est dans l'oeil de celui qui regarde". Elle est née de cette amitié, la nouvelle femme, celle que moi je connais, qui parle sans frémir, qui rie beaucoup, qui enseigne à une petite classe de jeunes Innus en difficulté, celle que j'appelle maman.

Elle termine son texte en disant merci, à cette amie qui l'a aimé, qui a cru en elle et qui l'a poussé à passer de la honte à la fierté.

Un simple rappel à moi-même, pour ne jamais oublier que tout peut changer.